Catherine DUMAS était ce matin l’oratrice du groupe UMP afin de contrer la proposition du Sénateur socialiste de Paris, David Assouline, sur l’indépendance des rédactions et de la presse.
Selon l’auteur de la Proposition de loi, la liberté de la presse tendrait à disparaître, et la démocratie serait menacée dans notre pays…
Réponse, en séance, de Catherine DUMAS :
« Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues,
Je souscris à la position de notre rapporteur qui a démontré le caractère inadéquat du présent texte.
Notre collègue David Assouline et le parti socialiste veulent protéger les journalistes de pressions extérieures et s’émeuvent d’une concentration croissante des médias français. Selon les termes de la proposition de loi, la liberté de la presse tendrait à disparaître, et la démocratie serait menacée…
Ce jugement peut surprendre quand on sait que notre pays a adopté un dispositif particulièrement protecteur du pluralisme – d’ailleurs reconnu principe à valeur constitutionnelle – et de l’indépendance des médias !
Partant d’un constat qui me semble déjà erroné, la proposition de loi fixe deux grandes mesures qui paraissent inadaptées, de l’avis-même de notre rapporteur.
La première impose la création de structures juridiques mettant en œuvre le principe d’indépendance des journalistes.
La seconde instaure des obligations accrues de transparence pour les entreprises de presse.
1) Concernant la création de structures juridiques – équipes rédactionnelles, associations de journalistes ou sociétés de rédacteurs – qui veilleraient au respect de règles déontologiques, j’ai du mal à comprendre comment elles pourraient fonctionner sans mettre l’entreprise en péril.
Que deviendrait la cohésion interne de l’entreprise ? Comment ferait-on coexister, au sein de la même rédaction, deux équipes composées également de journalistes, mais dotées de pouvoirs et de statuts différents ? Et serait-il encore possible de parler de confiance entre la rédaction et la direction ?
Dans le cas d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome visée à l’article 1er, l’équipe créée disposerait même d’un droit de veto sur la nomination du responsable de la rédaction, c’est-à-dire de son propre supérieur hiérarchique, ainsi que sur la politique éditoriale !
On donnerait ainsi un droit de regard à l’équipe rédactionnelle sans qu’elle en supporte la responsabilité. Le directeur de la publication se trouverait alors dans une situation inacceptable où il serait seul responsable pénalement d’un contenu dont il n’aurait pas la maîtrise en dernier ressort.
En commission, notre rapporteur Jean-Pierre Leleux a conclu qu’il y aurait une asymétrie flagrante entre les pouvoirs de la rédaction et ceux de la direction.
Sur le plan économique, le dispositif serait catastrophique car il ferait fuir les investisseurs.
Enfin, puisque la position éditoriale serait l’émanation de la rédaction de journalistes, on peut se demander ce que deviendraient les droits qui leur sont actuellement attachés, et notamment la clause de conscience qui joue s’il y a un changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal. Elle perdrait toute utilité alors qu’elle est aujourd’hui une garantie primordiale de la protection des journalistes. Je m’étonne que la proposition de loi nie ainsi l’un des fondements du statut professionnel des journalistes, acquis important des organisations syndicales.
Je viens de noter mes réticences sur le dispositif proposé. Et je dois souligner que par ailleurs, le cadre actuel est satisfaisant.
Je tiens à féliciter Jean-Pierre Leleux pour la qualité de son rapport, qui fait le point sur les dispositions législatives et conventionnelles visant à protéger le journaliste des pressions extérieures. Outre le droit qui entoure les médias de protections, il existe aujourd’hui des accords négociés entre la direction et le personnel de la rédaction.
Des sociétés de journalistes ont été créées. Elles sont nées de la pratique et sont donc spécifiques à chaque entreprise. Elles sont un lieu de dialogue et de concertation. L’expérience nous montre que les accords négociés au cas par cas fonctionnent.
Le texte qui nous est soumis se propose au contraire d’imposer autoritairement une structure représentant l’équipe de rédaction auprès de la direction.
Alors qu’elle prétend garantir l’indépendance de l’information et des médias, cette proposition de loi pourrait précisément la restreindre en imposant un modèle unique au lieu de laisser chaque média choisir la gouvernance la plus adaptée à son histoire, son actionnariat, ou son positionnement éditorial.
2) Je voudrais dire à présent quelques mots sur les obligations de transparence fixées par les articles 2 et 3.
La proposition de loi prévoit d’informer les lecteurs de tout titre de presse, des actionnaires détenant plus de 10% du capital. Les lecteurs devront également connaître tout changement de statut de la société éditrice, de ses dirigeants et de ses actionnaires.
Or, l’article 5 de la loi de 1986 sur la presse oblige déjà les entreprises de presse à indiquer le nom de leur représentant légal et de leurs trois principaux associés, et à porter à la connaissance des lecteurs le nom du directeur de la publication. Le public est donc informé et plus de précisions semblent assez inutile. La transparence financière des entreprises de presse est garantie en France et les règles anti-concentration sont efficaces.
Je citerai les conclusions du rapport de la commission Lancelot en 2005, qui « n’a pas vu dans l’état actuel de la concentration dans les médias une menace directe pour le pluralisme et la diversité ». En effet, ce rapport relève que la liberté de choix pour le consommateur a globalement progressé depuis une dizaine d’années.
Certes, plusieurs groupes se détachent, que ce soit dans le secteur de la presse ou dans l’audiovisuel. Mais il ne faut pas occulter la réalité économique mondiale : n’oublions pas que les médias français ont du mal à s’imposer face à de grands groupes étrangers. Il faut sans doute penser les médias en termes politiques, mais il faut également les penser en termes d'économie d'entreprise, de taille critique, de rentabilité.
En conclusion, je crois que notre collègue David Assouline est dans la caricature. Nous ne pouvons adhérer à vos propositions, qui vont à l’encontre même des objectifs que vous vous fixez. Nous devons bien évidemment rester vigilants sur la question de l’indépendance des médias, je pense que ce débat est l’occasion de le rappeler. Mais notre groupe n’adhère en aucune façon à la vision négative du parti socialiste, et suivra donc l’avis de la commission en votant contre cette proposition de loi.
Je vous remercie. »
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